L'imprégnation et la mutation  (Tous droits réservés)
Tutoriel sur l'importance de l'enracinement de l'arbre dans l'art du sabre japonais.

 

Combattants ciblés par cette leçon: Cette leçon s'adresse aux sabreurs qui exercent l'art de la coupe (Battôdô, Tameshigiri) ou l'art de dégainer un katana (Iaidô). Cependant, les combattants qui exécutent des coups de pieds et des coups de poing peuvent profiter de ce tutoriel. Effectivement, dans la mesure où donner un coup de pied ou de poing éloigne de votre corps un membre cela allonge le bras de levier et conséquemment augmente les tensions sur les structures des membres impliqués. Si le corps n'est pas adapté à cet entraînement, il s'engendre des débalancements de vos mouvements qui causent des lésions et des douleurs pouvant s'installer de la partie distale du membre (ex: poignet) vers la section proximale ( ex: épaule) et migrer vers le cou, la colonne vertébrale, le bas du dos, les hanches, et les membres inférieurs. Cela est vrai aussi en ce qui concerne les coups de pieds. Toutefois, il est essentiel de comprendre que dans le cas de l'usage du sabre, plus le sabre est lourd et long, plus ces tensions seront fortes et exerceront un stress encore plus important sur les structures musculosquelettiques. Ne jamais oublier que votre corps n'est pas une addition de membres et de segments, mais bien une chaîne liée intimement et qu'une douleur à l'épaule peut provenir d'une mauvaise prise de votre sabre a/n des poignets, et qu'inversement, une douleur a/n du poignet peut venir d'une mauvaise stabilité a/n de l'épaule.

 

Analogie de l'arbre.
Le processus de croissance de la semence à l'arbre suit une logique qui peut s'appliquer au corps du sabreur. La graine tombe dans le sol, et germe. Puis, les racines commencent à se développer et à s'enfoncer dans le sol à un rythme plus grand que la tige qui pointe lentement vers le ciel. Cet enracinement est l'assurance que l'arbre pourra croître en hauteur et résister aux vents et tensions extrêmes que lui appliquera la nature déchaînée. Un arbre qui pousse dans un sol rocailleux fera de larges racines afin de contrer l'impossibilité de s'implanter en profondeur.

 

De même, le sabreur est en premier lieu une semence. Celle-ci doit commencer en déployant des racines. Cette période se nomme imprégnation ou en enracinement. Il s'agit en fait de bien ancrer le corps avant de commencer le mouvement. Cette étape est essentielle, car elle permet de bien stabiliser le mouvement afin d'éviter les blessures et l'usure prématurée de votre corps tout en permettant des coupes rapides et précises au fil de l'évolution.

 

L'exercice de base pour mettre en oeuvre cette phase est le Chi Gong ( Qi Gung, Qi Gong). Par cette pratique quotidienne (3 minutes minimal) vous développer un Chi (énergie vitale) tout en ancrant cette énergie dans  le tréfonds de votre corps, bien en dessous des mouvements à venir. Il ne s'agit pas d'une énergie superficielle comme celle que donnent les stimulants et les drogues, mais d'une force profonde qui vous permet d'exercer une action solide et franche tout au long de votre existence. En fait, vous enracinez dans les tréfonds de votre architecture musculosquelettique le mouvement en assurant une stabilité essentielle à la suite des choses.

 

J'ai remarqué au fil des décennies qu'un manque d'imprégnation a plusieurs conséquences négatives qui se traduisent inévitablement en lésions, en douleurs, en mauvais patron de coupe et en une impossibilité de franchir un certain seuil de performances. Cela réduit assurément le plaisir de votre art martial tout en hypothéquant le bien-être de votre vie de tous les jours et la qualité de votre âge mûr. Par ailleurs une grande force vitale et un enracinement profond permettent d'exercer éventuellement des actions curatives et non mystiques comme l'imposition des mains et le Shiatsu.

 

La seconde phase de votre évolution est la mutation. Une fois que votre enracinement est fortifié, il est désormais possible de commencer à bouger. Si votre imprégnation est adéquate, les mouvements qui en surgiront seront solides, précis, énergétiquement économes tout en réduisant la possibilité des blessures et de l'usure prématurée.

 

 Les exercices de base pour mettre en oeuvre cette phase sont le Tai Chi modifié, les katas lents, les Huits soies du Gong Fu et les exercices de fluidité et de coordination. Cette étape n'incorpore pas encore la vitesse, la puissance ni le combat. Il s'agit ici de coordonner l'enracinement et le déploiement du tronc et des branches. Nous sommes encore dans la période de croissance de l'arbre. Nous évitons d'offrir la structure encore immature aux violences des grands vents et des tensions hivernales.

 

Il est essentiel de comprendre et d'assimiler une fois pour toutes que le mouvement doit s'ancrer de proximal à distal. Par exemple, si vous voulez couper un tatami, vous devez en premier lieu visualiser le mouvement, permettre au Chi de s'éveiller afin de préparer la mutation tout en donnant le temps aux structures proximales d'anticiper le mouvement en se stabilisant. Une fois la mutation bien enracinée dans votre mental, votre énergie et votre corps, la mutation pourra naître de manière adéquate en minimisant la dépense d'énergie et en protégeant vos structures corporelles. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, vous vous assurerez d'un geste précis et maximal tout en minimisant les effets secondaires néfastes pour votre intégrité.

 

Pour conclure, à côtoyer des sabreurs et des artistes martiaux, je me suis aperçu que malgré de longs et intenses entraînements, la majorité des pratiquants qui viennent me rencontrer on surtout développé une approche externe et moderne basée sur la rapidité, la performance et la puissance au détriment d'une approche interne et souple axée sur le Chi et les ressources ancestrales de l'animal. Dans la majorité des cas, une brève évaluation de la posture de base et des mouvements permet d'observer une utilisation sous-maximale du corps proximal se traduisant par des mouvements non coordonnés, imprécis et dommageables pour les structures impliquées. Dans bien des cas, on note une surutilisation des muscles permettant le mouvement et un mauvais usage de structures essentielles à l'enracinement. Il en découle des katas faibles et peu ancrés, des coupes qui manquent de pénétration et de contrôle, et des douleurs. Ces conditions ne peuvent s'améliorer  qu'avec une mécanique corporel et énergétique optimale et un esprit conscient des notions auxquelles ce texte fait référence.

 

Il est donc essentiel de bien comprendre l'analogie de l'arbre si vous désirez vous déployer dans le ciel et dans la durée au lieu de tomber, flamboyant, dans la première tempête hivernale. Méditez ce texte en profondeur et mettez en oeuvre ce que vous en comprenez.

 

Texte tiré du livre: La sixième roue
écrit par Nichiken Yamabushi (jOsé Pouliot)
Fondateur du Ni Chi Gong Fu Dô

 

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